La Follie après le Bout du Val

La Follie après le Bout du Val

Mort d'un potager dit "ouvrier" à Ernotte-Boondael

Article repris de la Libre Belgique :

Lopins de terre, bribes d’histoires

M.M. (st.)

Mis en ligne le 10/09/2009

 
Au cœur de Bruxelles, il existe des petits espaces de potagers illégaux. Ils sont souvent rasés au profit de constructions. Comme à Ernotte-Boondael.

Il était une fois, il n’y pas si longtemps " Ç’aurait pu être le titre de l’exposition de l’artiste Philippe Graton. Une exposition un peu particulière : des photos - trente - accrochées au grillage d’un chantier bruyant.

Ici, à Ernotte-Boondael, on construit des logements sociaux. Il n’y a pas si longtemps pourtant poussaient haricots, groseilles, salades Jeu de contraste. L’ambiance des photos noir et blanc est silencieuse et paisible. Pas de constructions de béton, mais des potagers et des cabanons que chacun ménageait à sa façon.

Du caractère dans ces petites constructions : "J’y vois plus que de simples cabanes. Chacune est le portrait de quelqu’un, c’est un visage." Philippe Graton nous les présente "Ici, celle du bordélique, là celle du poète voilà celle du méticuleux elle-ci, avec des tentures en dentelle, est plus "kitch", c’est celle d’une Polonaise". "Là, c’était mon chez moi, complète Marcel , voyez, c’est tout petit, mais il me fallait pas plus pour ranger mes outils. Tous ces bidons autour, c’était pour récolter l’eau de pluie, parce que l’eau y en avait pas sur ces terrains."

Faites de bouts de bois venus d’on ne sait où, assemblées on ne sait comment, ces cabanes ont toutes un côté rapiécé. "Un côté que j’adore, confie Philippe. Celle-ci est entièrement construite autour d’une double porte qui ressemble à une entrée de maison" Le couple qui l’a construite n’est resté qu’un an.

Petit drame que la fin de ces potagers. Le photographe leur rend leur verdeur, en noir et blanc, comme un bon souvenir : "Celui-là c’était à Nico, un Grec, il avait planté des noix et des figues de son pays. Nico, quand il partait en vacances, ben c’était moi qui m’occupais de son petit terrain. Il avait des lapins et des poules que je devais nourrir tous les jours. Un matin, je les ai trouvé morts : un renard était passé par là Tu te rappelles, Gérard? "

Marcel, Gérard, Nico, ils formaient un clan, à côté du groupe des Portugais. "Il faisait bon, on prenait l’air entre hommes." Gérard se souvient de "l’Arabe", le seul qui logeait sur place, avec ses pigeons. Il s’était d’ailleurs aménagé une cheminée pour se chauffer et cuire ses pigeons. Sur les clichés, elle fume encore

De la vente du terrain, ils ne gardent pas grand-chose en mémoire "ça fait bien trois ans qu’on sentait que notre petit jardin allait disparaître. Nous, on n’a pas été consultés lors des réunions, personne pouvait parler. Il en existait un d’une rue toute proche, c’était juste avant les élections communales, qui s’est opposé aux logements sociaux. Résultat, il est devenu administrateur à la commune." "Les décisions, les accords financiers, vous savez comment c’est, tout est déjà réglé d’avance", ajoutent-ils.

Le 6 septembre, les travaux de construction de logements sociaux ont commencé. En vue, 234 logements sociaux et 82 logements moyens pour la commune d’Ixelles.

"J’ai accroché ces photos samedi, pour ceux qui se souviennent. Les ouvriers m’ont dit qu’ils allaient retirer les photos lundi, mais elles sont toujours là". Philippe Graton était touché par ces petits potagers cachés au cœur de Bruxelles. Il les photographiait depuis quelques années. L’émotion, il l’a retransmise aux colons de ces fiefs clandestins grâce à ses images. Des images qu’ils se sont vite appropriées "Moi j’ai été voir les gars du chantier, je leur ai dit, "si vous voulez les enlever et les déchirer, ne jetez pas celle de ma baraque". Ces baraques, ils ne souhaitent pas les perdre une seconde fois.

Et voici le diaporama de ce petit paradis sur terre mais perdu....

http://www.keopsphotographs.com/philippe-graton.html#id=VanishingGardens&num=1